Côte d’Ivoire / LE PARASITISME DIGESTIF DES OVINS EN ZONE FORESTIERE AU SUD DE LA COTE D’IVOIRE

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  1. Introduction

Les infestations parasitaires digestives sont très fréquentes chez les ruminants domestiques, notamment chez les ovins. Elles se traduisent d’abord par une réduction du gain de poids et une perte d’appétit ; puis, au fur et à mesure que le nombre de parasites augmente, des signes cliniques se développent incluant des pertes de poids, de la diarrhée, une anémie et un œdème sous-maxillaire. Diverses espèces de parasites peuvent être présentes dans l’appareil digestif ; toutes n’ont pas la même importance, certaines étant plus pathogènes que d’autres. Leur répartition diffère d’une région à l’autre, principalement à cause du climat qui détermine la prédominance de certaines espèces par rapport à d’autres et l’épidémiologie de leur transmission.

L’objet de la fiche technique est de faire connaître l’inventaire des espèces d’helminthes gastro-intestinauxrencontrées chez les ovins dans le sud de la Côte d’Ivoire et de fournir des informations sur leur importance et sur leur dynamique de transmission aux animaux.

1.   Matériel et méthodes

1.1. Présentation de la zone d’étude

L’étude s’est déroulée dans le sud-est forestier de la Côte d’Ivoire, plus particulièrement dans le District autonome d’Abidjan et dans les départements d’Aboisso, Adzopé, Akoupé, Alépé, Dabou, Grand-Lahou et Jacqueville.Le climat y est de type équatorial, avec quatre saisons. Pendant la période d’étude, les saisons des pluies sont survenues de mars à juillet avec un pic en juin pour la grande, et d’octobre à novembre pour la petite ; les saisons sèches ont eu lieu de décembre à février pour la grande, et d’août à septembre pour la petite.

1.2. Matériel biologique et échantillonnage

L’étude a porté sur cent quarante-cinq (145) ovins de race Djallonké, provenant d’élevages de type traditionnel. Ils ont été sélectionnés en fonction de leur lieu d’origine (le sud de la Côte d’Ivoire) et de leur statut sanitaire (des animaux non déparasités depuis au moins six mois, en sorte qu’ils soient porteurs de parasites).

Leurs fèces ont été récoltées directement dans le rectum pour la recherche des œufs des parasites. Après abattage, le tractus gastro-intestinal a été prélevé et examiné pour la recherche des parasites adultes.

1.3. Méthodes de travail

La recherche des œufs de parasites dans les fèces a été effectuée par les méthodes qualitatives d’enrichissement par sédimentation à l’eau du robinet et par flottaison dans une solution saturée de NaCl, et par la méthode quantitative de MacMaster modifiée suivant Gordon & Whitlock.

Pour la recherche des parasites adultes, les différentes portions du tractus gastro-intestinal (caillette, intestin grêle et gros intestin) ont été séparées par ligature et ouvertes dans le sens de leur longueur. Leur contenu a été passé à travers un tamis de 200 µm. Les résidus du tamis ont été versés dans un seau et complétés à 3 litres d’eau. Après homogénéisation, 200 ml de la suspension obtenue (soit 1/15e du volume total) ont été prélevés dans des bocaux étiquetés, et examinés par petites quantités à la loupe binoculaire (G x 20 ou x 40). Les parasites présents ont été récoltés, identifiés et dénombrés. Pour les analyses statistiques, le seuil de signification a été fixé à 5 %.

2.   Résultats et discussion

2.1. Inventaire et niveaux d’infestation

La faune parasitaire digestive rencontrée comporte 15 taxons, dont 9 nématodes, 3 trématodes, 2 cestodes et 1 protozoaire (Tableau I). Les Strongles sont les plus nombreux, avec 7 espèces :Haemonchuscontortus, Trichostrongylusaxei, Trichostrongyluscolubriformis, Cooperiacurticei, Bunostomumtrigonocephalum, Gaigeriapachyscelis etOesophagostomumcolumbianum(Figures 1a et 1b). Les ookystesde coccidies (Eimeriasp)sont observés dans les fèces (Figure 1c). Les parasites sont présents chez tous les ovins examinés et 98,6 % d’entre eux excrètent des œufs de strongles. La plupart des animaux (95,8 %) souffrent depolyparasitisme, avecgénéralement 3 ou 4 taxons présents. Trois espèces prédominent, avec de très fortes prévalences (˃ 75 %) : T. colubriformis,H. contortuset Eimeriasp.Les taxons sont ubiquistes, à l’exception de T. axei, B. trigonocephalum, F. giganticaet D. hospes, qui sont absents sur certains sites.

Tableau I : Inventaire des parasites digestifs des ovins de la zone sud de la Côte d’Ivoire

(n = 145)

Parasites Localisation
Phylum Classe Famille Espèces
Nematoda Chromadorea Haemonchidés Haemonchuscontortus Caillette
Trichostrongylidés Trichostrongylusaxei Caillette
Trichostrongyluscolubriformis Caillette et intestin grêle
Cooperiidés Cooperiacurticei Intestin grêle
Ancylostomatidés Bunostomumtrigonocephalum Intestin grêle
Gaigeriapachyscelis Intestin grêle
Chabertiidés Oesophagostomumcolumbianum Gros intestin
Strongyloididés Strongyloidespapillosus Intestin grêle
Enoplea Trichuridés Trichurisglobulosa Gros intestin
Platyhelminthes Trematoda Paramphistomidés Rumen
Dicrocoeliidés Dicrocoeliumhospes Foie et canaux biliaires
Fasciolidés Fasciolagigantica
Cestoda Anoplocéphalidés Monieziabenedeni,

Monnieziaexpansa

Intestin grêle
Apicomplexa Coccidia Eimeriidés Eimeriasp Ookystes dans les fèces

Figure 1 : Strongles et coccidies observés

Analyses des fèces au Laboratoire

Ces résultats montrent une grande diversité parasitaire, avec des espèces couramment retrouvées en Afrique de l’Ouest, sauf l’espèce Bunostomumtrigonocephalumqui est rarement observée.La présence de la douve du foie Fasciolagiganticaest très localisée ; elle est soumise à l’existence de points d’eau hébergeant son hôte (Lymneanatalensis).

Dans le tube digestif, les charges parasitaires ont été en moyenne de 1 438nématodes (Intervalle de confiance IC à 95 % : 1 159 – 1 716) et plus de la moitié des ovins (55,2 %) hébergent moins de 1 000 nématodes. Dans les fèces, les charges des œufs de strongles ont été en moyenne de 1 003œufs par gramme de fèces (IC à 95 % : 847 – 1 158 œufs), avec 69,2 % des animaux en excrétant moins de 1 000.Ainsi, bien que les prévalences montrent qu’il s’agit de conditions de parasitisme total, les charges parasitaires sont faibles à modérées. Ceci peut s’expliquer par la pression parasitaire qui aurait conduit à une bonne adaptation des ovins de race Djallonké au milieu tropical humide avec l’apparition d’une résistance naturelle au parasitisme. Par ailleurs, il s’agit d’élevages de type traditionnel, au mode extensif, avec une pression parasitaire réduite comparativement aux autres types d’élevage.

A partir d’une charge de 1 500 nématodes dans le tube digestif, un impact clinique du parasitisme a commencé à être observé, se traduisant par de la maigreur et une pâleur des muqueuses oculaires. La charge parasitaire apparaît ainsi comme un meilleur indicateur de la morbidité que la prévalence.

Une corrélation négative a été mise en évidence entre la charge parasitaire de l’espèce H. contortus et l’hématocrite (r = -0,188 ; p = 0,027), montrant que les signes d’anémie observés sont essentiellement dus à ce parasite hématophage.

2.2. Variations saisonnières du parasitisme

Les différents parasites ont une dynamique temporelle, qui révèle la dynamique de leur transmission aux animaux.

Cette dynamiquetemporelle se traduit par uneprésence perceptible toute l’année pour certains parasites (T. colubriformis, H. contortus, C. curticei, S. papillosus, O. columbianum et Eimeriasp), et seulement quelques mois pour d’autres (Monieziasp : 10 mois ; les Paramphistomes, G. pachysceliset T. globulosa : 9 mois ; T. axei : 7 mois ; B. trigonocephalum : 2 mois).

Prélèvements des fèces

Elle se traduit également par des profils variables liés à la pluviométrie. De façon globale, les charges parasitaires montrent quatre pics : en février (fin de la grande saison sèche), en juin (pic de la grande saison des pluies), en août (début de la petite saison sèche) et en novembre (fin de la petite saison des pluies). Les minimas sont observés en janvier (milieu de la grande saison sèche), en avril (début de la grande saison des pluies) et en juillet (fin de la grande saison des pluies). La chute du parasitisme observée en juillet, entre deux pics parasitaires, correspond à un phénomène d’autorégulation parasitaire ; il s’agit d’une forte poussée immunitaire liée à une invasion larvaire. L’espèce T. colubriformis est celle qui a le plus influencé ce profil général en zigzag, avec un pic d’infestation plus important en février (Figure 2a) ; au centre et au nord de la Côte d’Ivoire, ce pic principal est plus précoce, se situant en décembre et en novembre respectivement. Quant à l’espèce H. contortus, elle a présenté un premier pic d’infestation en juin, qui est l’aboutissement d’un accroissement progressif de la charge parasitaire depuis la fin de la grande saison sèche, et qui est suivi d’une chute en juillet, puis d’un second pic des charges en août (Figure 2b).Au centre de la Côte d’Ivoire, 2 pics sont également observés pour H. contortus (avril, septembre), mais un seul au nord (septembre).Les variations des charges des œufs de strongles ont montré un profil marqué par la présence de deux pics : en février (fin de la grande saison sèche) et en octobre (début de la petite saison des pluies) (Figure 3).

Larves cysticercus tenuicollis

Conclusion

Ces résultats devraient permettre de mieux cibler les périodes de traitement des ovins dans le sud de la Côte d’Ivoire. Les périodes à risque pour les animaux correspondent aux périodes de pics parasitaires, notamment ceux de l’espèce parasitaire Haemonchussp qui est hématophage. Ces traitements viseraient à réduire les pics, voire à empêcher leur survenue.

Cette fiche technique apporte des informations supplémentaires sur le parasitisme des ovins dans le contexte bioécologique du sud de la Côte d’Ivoire, pour une meilleure efficacité des stratégies de lutte contre le parasitisme dans les élevages.

Elle est destinée aux décideurs, aux vétérinaires installés en clientèle privée, aux techniciens d’élevage, aux étudiants et aux éleveurs. Des chercheurs peuvent aussi y avoir recours dans le cadre d’études ultérieures sur l’amélioration des stratégies de lutte contre le parasitisme digestif chez les ovins.

 Moussa Camara

Pour en savoir plus
  1. Achi Y. L., Zinsstag J., Yéo N., Déa V. &Dorchies Ph. (2003). Epidémiologie des helminthoses des moutons et des chèvres dans la région des savanes du Nord de la Côte d’Ivoire. Revue Méd. Vét.,154 : 179-188.
  2. Atsé-Achi L., Komoin-Oka C., Koné P., N’Depo A. E. &Zinsstag J. (2004). Le Parasitisme digestif des ruminants en Côte d’Ivoire in Le parasitisme des ruminants domestiques en Afrique de l’Ouest, cas de la Côte d’Ivoire, Sempervira n° 11, Centre Suisse de Recherches Scientifiques en Côte d’Ivoire, Abidjan (Côte d’Ivoire), p. 29-59.
  3. Komoin-Oka C., Zinsstag J., Pandey V. S., Fofana F. &N’Depo A. (1999). Epidémiologie des parasites des ovins de la zone sud forestière de la Côte d’Ivoire. Revue Elev. Méd. Vét. Pays trop., 52 : 39-46.
  4. TouréG., Komoin-OkaC., CabaretJ., OuattaraZ., FayeB. &Lhostis M. (2006). Peri-urban sheep breeding in Ivory Coast: evaluation of gastro-intestinal parasitism and influent factors of variation. Agr. Environ. Int. Dev., 100 : 155-168.